Memoires de l’instant qui passe
 
 
 
 
 
EPUISANTE la semaine? Pas tant que cela. A mesure que je fais ce genre d'activité de montagne, je me rends compte que j'ai de plus en plus la forme. Probablement c'est ce qu'on pourrait appeler la mémoire du corps qui fait que mon temps d'adaptation à ces conditions qu'on pourrait qualifier d'exceptionnelles, est de plus en plus court. Pas d'essoufflement excessif, même à 3330 m comme ce fut le cas au sommet du pic blanc. Ceci dit, la photo où on me voit sur le vélo, les pieds dans la neige, sur fond de ciel bleu, je n'en menait pas large, d'autant que c'était juste avant le départ de la course et qu'il fallait à tout prix que je rejoigne mon poste de tournage. En effet cette année et pour la première fois j'ai été intégré à l'équipe de tournage professionnel chargé de faire le film officiel de la Méga. La caméra pro achetée l'an passé y fut pour quelque chose. Et de plus on m'a placé là où cela requerrait une bonne condition physique. En quelque sorte je suis considéré comme un cadreur physique. C'est une source de fierté certes mais vite estompée : Exemple à l'appuis : En effet, après que j'eusse tourné à la sortie du glacier et donné la cassette au patron de la production TV, j'ai continué à faire des images jusqu'au passage du vélo balai. J'ai à ce moment rangé le matos et aperçu un 4X4 de l'Alpe, posté sur la piste. Espérant profiter de la situation, je lui fis de grands gestes afin qu'il m'attende. Malheureusement et malgré des signes d'acquiescement de la part de l'un des passagers, lorsque, après une petite marche forcée d'une centaine de mètres, je suis arrivé sur la piste, le 4x4 venait de partir... Le temps de reprendre mon vélo et de foncé comme je pouvais (il y avait des remontées) impossible de le rattraper. Réduit à remplir ma gourde sous le maigre filet d'eau d'une source au creux d'une excavation rocheuse, c'est ainsi que je me suis tapé toute la piste puis la route, une bonne quinzaine de kilomètre avec 2 cols à passer pour rejoindre l'Alpe. Il était 14h quand je suis arrivé en vue du Départ de la remontée mécanique, là où j'avais laissé mon vélo le matin. Par dépit, je me suis fais invité par la production Migoo tranquillement attablée au Snack 2000. Je n'avais alors plus envie de descendre d'autant que personne ne s'est inquiété de savoir où j'étais passé, à part mon pote Jérôme le photographe. Comme quoi, tant que t'as le trésor en main, t'es le plus beau, mais après... Ah si, j'oubliais, George m'a passé un coup de fil il était 19h30 il avait appris mon avatar et semblait inquiet, mais lui n'y était pour rien. Nous étions près d'un petit col au dessus de Castellane, où il fut bien agréable de s'arrêter pour assister au couché du soleil, ventilés par un petit courant d'air presque frais, en attendant que le patron du bistrot campagnard nous apportât une paella enfin méritée.
 
  1. La semaine avait commencé pour nous, Aurele et moi, le mardi matin vers 5h. Six heures de route plus tard, nous étions à l'Oz en Oisans, pour enfourcher aussitôt nos vélos et s'essayer sur la piste de descente la plus vertigineuse que je connaisse. Mais quel plaisir de se faire peur à descendre des dalles de pierres inclinées à plus de 45° et d'enquiller des virages relevés, subissant à plein les effets de la compression centripète. Certes Aurele va beaucoup plus vite que moi, car il a un meilleur vélo et beaucoup moins conscience du danger, mais malgré tout j'arrive à suivre, sinon lui, souvent quelqu'autre et cela est bon pour la progression technique.
 
Le Mercredi tournage toute la journée, Là je n'emploie pas le vélo, car l'intervalle de temps entre chaque coureur n'est que de 30 secondes. J'y vais donc à pied, quand ce n'est pas george qui vient me chercher avec sa moto.
 
Le jeudi, : loisirs libres, et grasse matinée avec mon pote Jérôme à refaire le monde autour d'un petit déjeuner croissants dans un hôtel de l'Alpe d'Huez. Il me tarde d'avoir le temps de partir avec lui sur le chemin de St Jacques, on y ferra à coup sûr des découvertes culturelles et esthétiques formidables. Ce gars est beaucoup plus intello qu'il n'en a l'air.
  1. Il est presque midi, le temps malgré tout de partir faire un repérage à vélo sur la piste de la qualification au départ du Dôme des Rousses. Ces descentes, quoi, qu'on puisse en penser sont toujours très physiques et réclament un engagement complet, si on ne veut pas, soit descendre à pied, soit aller au tapis. Mais les virages en épingles et les courbes relevées ne me font plus peur, ni les passages pierreux, car j'ai enfin compris qu'il fallait une bonne vitesse pour les passer plutôt que le contraire. Oublier sa propre peur, c'est l'atout indispensable pour ne pas chuter.
Dès que le doute s'installe, on est en danger. L'oublier c'est poursuivre, à condition d'avoir la technique bien sûr. sinon, on reste à la maison et on mate mes vidéo par défaut.
Le temps se couvre et l'arrêt au snack 2000 où on a table ouverte n'en est que plus agréable.
L'orage s'annonce et la pluie s'abat sur les 2 alpes et la vallée. Le chemin panoramique au nord ouest semble épargné et un peu comme un défit je reprends mon vélo et décide de m'y engager. Le but : Aller jusqu'à Villars Reculas et descendre par une piste interminable faite de singles à forte déclivité entrecoupés de virages en épingle et cela jusqu'à Bourg d'Oisans, quelque 1300 m plus bas. Le challenge : Remonter par la route, la fameuse route de l'Alpe d'Huez et ses mythiques 21 virages, tellement vantés une semaine auparavant par les commentateurs du Tour de France. C'est un peu une folie, quand d'en bas on aperçoit les immeuble de l'ALPES, barrant le ciel, tel le front d'un glacier gigantesque. La première portion est épuisante, car la pente y est d'un coup forte, sans préavis, comme cela, pentue à en dégoutter tout aventurier de l'effort personnel. Qu'il est lointain le premier virage. Enfin atteint la pancarte portant le chiffre 21 ne laisse aucun doute sur le nécessaire enchaînement des 20 suivants.
Ensuite, les jambes et les muscles s'y font, à la douleur, puis c'est au tour du postérieur de manifester sont inconfort, mais qu'importe, je suis là pour aller jusqu'en haut sinon à quoi bon. Et ce n'est pas Thomas Misser, le champion espagnol,  qui m'en dissuadera malgré sa bonne mauvaise idée de vouloir m'envoyer sa mère me chercher en voiture. La pauvre, j'ai dû la renvoyer, malgré son sourire prêt à me faire craquer. Vers le 14ème virage c'est au tour de mon ami Rémi, à vouloir me ramasser. NON, NON, je veux aller jusqu'en haut, d'autant que mon pote Jérôme, tel que je le connais, informé de ma tentative, doit m'y attendre pour la photo.
  1. La suite est peu glorieuse, je dois m'arrêter 7 ou 8 fois, afin de reprendre mon souffle et boire un coup. Avec tout ce que je transpire, je ne risque pas l'oedème au moins, comme ces braves français à qui les média disent qu'il faut boire, même si on n'a pas soif, et qui se noient au font de leur verre. Quel époque où les règles de vie sont dictées par les média au détriment de l'expérience personnelle. Ici, rien de tout cela, l'engagement est personnel, volontaire et mesuré et c'est ainsi que, passant le 16è où 17è virage, je prends conscience de la situation, du paysage, de la hauteur gagnée sur le fond de la vallée, du temps qui avance à la vitesse de mes mollets, de la plénitude de l'instant. Bonheur, fugitif, certes, mais inscrit dans les gènes pour le reste de mon temps.
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Plus que 4, plus que 3 virages... Au deuxième, Jérôme m'attend, pour la photo qui témoigne d'une arrivée prochaine, alors que les inscriptions à la peinture bariolent le bitume d'encouragements anonymes à l'adresse de champions si vite évanouis. Mais ces marques attesteront s'il en est besoin que j'étais bien sur la montée de l'Alpe. Une petite causette, histoire de récupérer un peu, mine de rien, et je demande à Jérôme de m'accompagner jusqu'au prochain virage afin qu'il me fasse la photo devant le panneau portant l'inscription virage 1. Manque de chance, ce fichu panneau est planté dans la falaise à plus de 4m du sol. C'est l'occasion de faire le pitre en montant debout sur le cadre de mon vélo et de désigner du doigt la pancarte.
 
  1. Vendredi les choses sérieuses commencent avec la reconnaissance du glacier. J'ai rendez-vous là-haut avec Parolin et d'autres afin de faire des interviews sur l'importance des reconnaissances dans la préparation d'une course. Il ne fait pas beau, et une petite tempête de neige soudaine gagne le sommet. Pour ma part je ne m'y suis pas attardé et m'essaye à la descente de glacier sur un vélo, chargé de mon sac à caméra pesant ses 12 à 13 kilos supplémentaires. Je n'en mène pas large...
Le lieu de tournage est vite atteint malgré tout. Une heure plus tard, je décide de continuer en empruntant la longue piste de la Cristallière. Arrivé presque au bout, george me sonne. "T'es où?" - "Bien là où on avait dit, mais à présent je redescends, j'ai terminé..." - "Bon il faudrait que tu remontes pour décider des plans de tournage pour dimanche, je monte en moto par la piste, et je t'attends".
Ben comment donc, y a qu'à... Demi-tour et me voilà reparti en sens inverse, dans une remontée qui me prendra 3/4h au moins poussant, portant le plus souvent le vélo, face aux pilotes qui n'en croient pas leurs yeux. Mon ami Marcellin, rencontré à mi-chemin, et qui a toujours la réplique facétieuse, me crie de loin que ce n'est pas la Transvésubienne et que de toute façon la mer ce n'est pas par là. Cette allusion à cette course mythique qui relie effectivement la montagne au rivage niçois, n'entame pas mon morale, bien au contraire et je suis fier
de pourvoir prouver à tous ces pilotes, tous plus jeunes que moi, à par un ou deux, que je suis moi aussi capable d'accomplir des "exploits".
Cela renforce nos relations et les interviews ainsi que les images que j'obtiens d'eux n'en sont que plus signifiantes. Rendu au point de rencontre, on discute technique puis George se charge de mon sac ce qui me permet de reprendre le chemin de la Cristallière dans de meilleures conditions d'autant qu'au bout il y a deux relances qui réclament là encore une bonne condition physique. Il ne faut pas oublier que tout cela se passe entre 2500 et 3300m. Là je dois reconnaître que mes virées au Pérou m'ont été bénéfiques.
  1. De retour à la station, repas mérité au snack et puis c'est reparti avec Aurele pour une nouvelle descente jusqu'à Oz, sur le parcours de la qualif du lendemain. Bon, arrivé en bas, c'est fini pour la journée. Heureusement que la remontée se fait en télécabine. Ah si j'allais oublier, de l'arrivée de la télécabine à la station il y a une dénivelée de 300 m. Histoire de se faire encore un petit plaisir, j'enfile la piste permanente de l'Alpe. Plaisir, c'est vite dit, car cette piste, éculée par le passage surabondant des vélos, est un véritable
entraînement à manipuler le marteau pneumatique, dit également marteau piqueur, tant le sol est défoncé, parsemé de trous façon tôle ondulée. Mais quoi, on est là pour çà, alors autant profiter des nombreux virages relevés, tables et autres jumps et cela jusqu'au dernier... Et là, c'est la chute, une sale chute.
Une mauvaise appréciation de la bosse, une réception sur la roue avant, la fatigue, toujours est-il que je m'affale sur mon guidon et passe par dessus, heurtant le sol violemment de la hanche gauche, puis tapant la tête contre le sol, dur et caillouteux. K.O. pendant 5 secondes, histoire de faire un rapide inventaire de mon capitale vie. Puis un éclat de rire, avant de me dépêtrer les jambes du vélo, de retrouver mon équilibre et ma verticalité, de vérifier la mécanique, de remettre la chaîne... Bon finalement rien de grave, la veste Salomon, le pantalon d'enduro et le casque ont remplit leur rôle protecteur. J'en suis pour une petite égratignure au coude, et certainement un bleu à la hanche. qu'importe, on y était.
 
  1. Le samedi, c'est l'antépénultième grand jour. Les qualif. Le challenge est simple : Faire LAA photo du départ, puis prendre le vélo, (autrefois j'avais droit à une moto et son pilote) et filer à 500 mètres de l'arrivée, le plus vite possible afin de filmer les gamelles dans les bosses et autres petites chicaneries concoctée par George. Remarque je ne sais pas si le vélo c'est pas finalement plus simple car c'est sur ces pentes du dôme des Rousses qu'il y a deux ans on s'est envoyé en l'air avec mon pote Gilbert. Du reste cette mésaventure a marqué les esprits puisqu'on m'en parle encore et notamment le photographe qui nous avait pris les photos de ce fameux double salto avant dans la caillasse. Je vois enfin son visage : Une tête ronde, rasée, sauf d'un mince filet capillaire qui partage le sommet de son crâne en deux hémisphères, lui conférant une allure
de grand rapace (sans méchanceté aucune). Le voici donc enfin matérialisé celui qui fut le premier à venir à nous, non pour nous secourir, mais pour nous clamer son enthousiasme d'avoir pu photographier en rafale tout l'accident.
 
 
 
 
 
 
 
 
Bon en tant que pro moi-même, je le comprends, d'autant qu'il a refilé les clichés à une bonne vingtaine de magazines ;  mais quand même, je lui ai fait remarqué qu'il aurait pu nous envoyer le cd, comme il nous l'avait promis. On a bien ris toutefois ; entre confrère... c'est normal, quoi!
L'après-midi si je te disais que je n'ai pas fait de vélo, tu me croirais? Et pourtant c'est vrai, j'avais fini par le cassé, ou presque. Plus de dérailleur depuis la veille, j'avais en quelque sorte une draisine suspendue, pas vraiment pratique, même si ça fait rire les touristes marcheurs que je croise. Pour le lendemain, le grand jour, il me fallait réparer cela. Or je pensais avoir pris une patte de dérailleur de rechange... Impossible de mettre la main dessus, (en fait on l'a retrouvée en rentrant à Cannes). Qu'importe, l'Alpe d'Huez c'est le royaume de la petite renne, et là où il te faudrait patienter 15 jours avant d'avoir ce bout d'alu magique, ici il te suffit de traverser la rue pour l'obtenir, et qui plus est, 2 fois moins cher qu'ailleurs. Mais ce n'est pas le tout, mon dérailleur était mal en point quant à ma chaîne, elle était devenu comme un serpent de guimauve autour de son crochet, aussi molle.
Mon ami Henri Mander de SR SUNTOUR allait être le Merlin de ma fable. "Mais ça ne va pas du tout ton vélo!"... et de me changer le dérailleur, puis le câble, puis le levier et enfin la cassette qui de 8 passait du coup à 9 pignons, sans compter le temps passé. Le tout en échange d'un grand sourire et d'une poignée de main. Sympa non? Bon il faut dire que l'an passé je lui avais "vendu" une photo pour faire je ne sais quoi dans sa pub, et que j'avais "oublié" de la lui facturer, comme quoi, le troc c'est mieux que le fric, ça entretient l'amitié.
Le soir, c'était la remise des lettres qui définissent la ligne de départ du dimanche. Plus de 1000 bikers devant le Palais des Sports de l'Alpe, une vrai kermesse. Tiens histoire de passer le temps et d'avoir quelque chose à faire, j'ai rejoint la tente des filles de l'avalanche Trophy et j'ai aidé à la vente des Tshirts. J'en ai profité pour faire la réclame de mon DVD 2005 et d'en vendre ainsi une dizaine. Je faisais le bonimenteur, un régale...
 
Le dimanche, levé à 5h, embarquement au premier téléphérique à 6, Arrivée au sommet du Pic Blanc à 7h30, par 1° de température et l'estomac noué à l'idée de descendre cette piste verglacée, accroché à un engin munies de roues manifestement pas conçues initialement à cette fin. Mais dans ces moments-là, le challenge, le monde, l'enthousiasme résigné de tout un chacun abattent les dernières réticences. Alors plus d’hésitations,  on s'élance. Qu'importe l'allure gauche et le regard figé d'angoisse, le principale est de tenir et aussi de faire sourire les copains. De bons souvenirs pour tous...
La suite ? t'as qu'à relire le début.
Michel
 
 
 
Ma megavalanche de l'Alpe d'Huez
dimanche 30 juillet 2006
Mon fils Aurèle et mon pote Jérome, dit la Marmotte